Comment créer de bons personnages ?


Dans toute fiction, destinée aux enfants ou non, les personnages sont les socles sur lesquels s’appuient les lecteur·rice·s pour « entrer dans » le récit. Les personnages peuvent être des personnes, des animaux, des choses… pour peu que l’auteur·rice leur attribue une voix singulière, une personnalité auxquelles s’identifie l’enfant qui lit ou écoute l’histoire lue. Mais un personnage évolue rarement seul, il fait partie d’un réseau de personnages dont les rôles s’imbriquent les uns les autres pour servir l’histoire et le récit. Vous avez écrit un texte et vous souhaiteriez vérifier savoir si vos personnages sont bons ? Voici quelques pistes pour vous aider à les perfectionner.

Un « bon personnage » n’est pas forcément un « personnage bon », loin de là : un personnage « mauvais » est souvent plus intéressant qu’un personnage « parfait », car sa personnalité pique la curiosité. Un bon personnage est un personnage intéressant, complexe, utile et nécessaire. C’est un personnage confronté à une problématique, il est assez captivant et crédible pour que les lecteur·rice·s s’attachent à lui et s’intéressent à sa façon de résoudre la problématique rencontrée.


Pour planifier une courbe dramatique (avant l’écriture), faire face à un blocage (pendant l’écriture) ou perfectionner son récit (après l’écriture), les auteur·ices peuvent travailler leurs personnages en les considérant comme des outils : outils au service de l’histoire, outils au service du récit.


Garder en tête que les personnages ont un rôle sur plusieurs niveaux du texte est important. Au premier niveau, celui de l’histoire, chaque personnage a un rôle à jouer : les personnages principaux sont les héros·ïnes qui poursuivent l’objet de leur quête, les personnages secondaires se positionnent « pour » ou « contre » la quête des héros-ïnes, avec juste assez d’entraves pour qu’il y ait un enjeu dramatique fort.


Au deuxième niveau, celui du récit, chaque personnage, principal ou secondaire, a un rôle à jouer pour que l’auteur·rice puisse mener la narration à son terme en faisant les héros·ïnes atteindre l’objet de leur quête.


Les personnages : des individualités au service de l’histoire

Clarifier les caractéristiques et les motivations des différents personnages les rend cohérents et facilite l’adhésion des lecteur·rices :


-La psychologie des personnages est-elle cohérente et crédible ? Sans tomber dans les caricatures, les personnages agissent-ils conformément aux principaux traits de caractère qui permettent de les distinguer les uns des autres, à leur système de valeurs et de croyances ? À l’inverse, si les personnages n’agissent pas comme pourraient le laisser présager leurs principaux traits de caractère, quel est le sens de cette rupture, pour eux et pour les autres personnages, dans l’histoire ?


-Si un personnage qui relève de l’archétype est présent dans l’histoire, quels sont les éléments qui font de lui un archétype et quels sont les éléments qui l’en éloignent, permettant à l’auteur·ice d’en proposer une vision singulière et de s’éloigner du stéréotype ?


-Les personnages sont-ils bien incarnés : les descriptions, tant physiques que mentales, sont-elles introduites au moment opportun, dans l’histoire, permettant de bien les distinguer les uns des autres ?


La complexité, la profondeur, les fragilités, les forces du personnage « héros·ïne » se manifestent-elles bien dans son rapport avec les autres personnages, qui ne possèdent pas les mêmes forces ou les mêmes fragilités ?


Réfléchir à ces questions peut permettre de lever des blocages en cours d’écriture et de réparer des pannes d’inspiration : si l’on est « bloqué » dans l’écriture, se demander comment réagirait un personnage avec tel trait de caractère face à une situation donnée peut permettre de décentrer le regard et prendre du recul sur l’histoire, en lui donnant une autre perspective et un nouvel élan.

Les personnages : des individualités qui évoluent à travers leurs relations

A. J. Greimas s’est inspiré des modèles élaborés par V. Propp sur l’analyse structurale des contes1 et par E. Souriau sur le théâtre2 qu’il a simplifiés pour bâtir le schéma actanciel3. Cette grille d’analyse littéraire formulée en 1966 visait, à l’origine, à l’analyse des pièces de théâtre et plus particulièrement à l’analyse d’un acte.


Cependant, le schéma actanciel peut devenir un outil d’aide à l’écriture créative d’album ou de roman jeunesse, puisqu’il est centré autour de la quête et qu’il peut tout à fait s’appliquer à la quête initiatique qui caractérise de nombreux récits pour la jeunesse. Il peut être utilisé pour clarifier la ou les quêtes des personnages du récit, mieux définir leur rôle à travers les relations entre les personnages et, ainsi, renforcer la cohérence de l’ensemble.

À première vue, le schéma actanciel est bâti autour d’une quête (le « sujet » poursuit « l’objet »), de manière plutôt unilatérale. Mais ce schéma est beaucoup plus modulable qu’il n’y parait : les différents « pôles » (« adjuvant » et « opposant », par exemple) sont à considérer comme des positions, où les « rôles actanciels », autrement dit les « actants » (à bien différencier des « personnages »), sont perçus dans une vision dynamique :

« Les actants sont des positions au sein d’une structure ; ils se définissent par leurs relations. Les acteurs d’une histoire, d’un conte, d’un roman… se déplacent d’une position à l’autre et voyagent au sein de cette structure. »4

Un personnage peut être un « opposant » puis un « adjuvant » (et pourquoi pas les deux, en même temps ?).


Ainsi, un récit sera plus dense si l’auteur·rice attribue à ses personnages des rôles sous l’angle des relations qui les lient entre eux :


-Dans la poursuite de sa quête, le personnage « héros·ïne » rencontre-t-il assez d’obstacles (opposants, blocages intérieurs) pour que l’enjeu dramatique soit assez solide ?


-Comment le personnage « héros·ïne » se mobilise-t-il et mobilise-t-il des ressources (adjuvants) pour surmonter les obstacles qui nuisent à la poursuite de sa quête ?


-Comment le personnage « héros·ïne » évolue-t-il au contact des autres personnages ?


Le schéma actanciel peut être utilisé pour clarifier, mais aussi rendre plus denses, les relations entre les personnages.


Les personnages : « un tout » au service du récit

Personnages et intrigue sont indissociables : le réseau des personnages dont les rôles et les portées dramatiques s’imbriquent les uns les autres fait avancer l’intrigue, et inversement. L’aspect « interconnecté » ou interdépendant des personnages est très bien décrit par John Truby dans L’anatomie d’un scénario5 (chapitre 4) : selon lui, les personnages sont plus à considérer comme « un tout » plutôt que comme des entités individuelles distinctes. Pour un·e auteur·rice, avoir des intentions d’écriture claires de permet de donner toute sa cohérence au réseau de personnages qui façonnent le récit :


-Comment l’histoire, l’événement, la problématique vécue par un ou des personnages le ou les transforment ?


-Comment les personnages transforment l’histoire, l’événement, la problématique ?


-La présence de tous les personnages est-elle justifiée dans le récit ? Y a-t-il des personnages « en trop » qui ne font pas avancer le récit ?


-À l’inverse, ne manque-t-il pas un personnage qui enrichirait le récit ?


-Le personnage « héros·ïne » et son adversaire ont-ils autant d’impact dramatique l’un que l’autre ?


-La hiérarchie entre personnages principaux et personnages secondaires se justifie-t-elle, au regard de l’intrigue ?


Les « informations » ou les données utiles à la progression de l’intrigue sont-elles bien distribuées entre les différents personnages ? La divulgation des informations utiles est-elle bien répartie, tout au long du récit, ménageant la tension dramatique autour d’éventuels « secrets » sur les personnages ?


S’interroger sur ces questions peut permettre de se recentrer sur les intentions d’écriture initiales et la logique interne du récit. L’élaboration d’un personnage intéressant, mais qui ne serait pas utile à la progression de l’histoire, fragiliserait le récit, tout comme l’élaboration d’un personnage utile à la progression de l’histoire, mais qui ne présenterait pas d’intérêt… Ainsi, chaque personnage doit-il être non seulement captivant, mais nécessaire.

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Sources :

[1] Propp, V. Morphologie du conte. Paris : Seuil, 1970.

[2] Souriau, É. Les deux cent mille situations dramatiques. Paris : Flammarion, 1950.

[3] Greimas, A. J. Sémantique structurale. Paris : P.U.F., 1966.

[4] Wikipédia, définition du schéma actanciel

[5] Truby, J. L’anatomie du scénario (nouvelle édition). Paris : Michel Lafon. 2017.

Photographies :
1 et 3 : Suzanne photographe, librairie Le bel aujourd’hui, Tréguier.
2 : Photo par mes soins, le schéma actanciel original, Sémantique structurale, A. J. Greimas.